Quel est ce groupe de jeunes gens – uniquement des hommes –, avec quelques personnes plus âgées, vers 1900 ? Certains se tiennent par la main, par le bras, ou ont posé une main sur l'épaule du voisin. S'ils ne se connaissent pas, du moins ils ont fraternisé. Ils ne sont pas en tenue de travail, car parions qu'à l'époque, comme villageois, ils sont majoritairement ouvriers agricoles ou d'usine, avec des vêtement mieux adaptés à leurs tâches. Ici, certains ont une chemise blanche, une cravate, un foulard qui fait chic. L'un d'eux a un nœud-papillon. Manifestement, le moment est particulier : ils se doivent d'être élégants. Serait-ce la fête ? Une hypothèse confirmée par la présence d'un accordéoniste ? Pas sûr. D'autant que nombre d'entre eux portent des guêtres (ou des bottes), indiquant qu'ils ont bien marché plutôt que bien dansé. Et d'ailleurs, où sont les jeunes filles ? Le plus étonnant est leur accoutrement : portant casquette ou chapeau, ils ont tous un couvre-chef très fleuri. C'est un mot d'ordre, manifestement. Et si on regarde bien, ils portent sur ce couvre-chef un bout de carton rectangulaire. Comme une petite fiche. Bizarre, non ? Serait-ce un jeu ? On est loin du compte. Ces jeunes gens ont participé au tirage au sort annuel de leur classe d'âge – ils ont 20 ans – qui déterminera qui fera et qui ne fera pas son service militaire. La loi est ainsi faite : le nombre de conscrits est fixé annuellement par canton de milice. Dans chaque canton, un jour déterminé du mois de janvier, tous les appelés rassemblés tireront à leur tour un carton portant un numéro enroulé dans une petite gaine en bois, les gaines tournant dans un tambour. Une convention établie au préalable aura déterminé quels seraient les numéros gagnants – les exemptés – et les perdants – les retenus. À d'importantes nuances près, le système fonctionne de la sorte de 1817 à 1909. Cette année-là, changement radical : fini le tirage au sort, ce sera un service personnel et obligatoire à raison d'un fils par famille. La photo date donc d'avant cette année 1909. Un futur Gentinnois serait présent. Le lieu où elle a été prise est discuté mais pourrait être Sombreffe, le village le plus peuplé du 9 e canton de milice de l'arrondissement administratif de Namur. La photo représente-t-elle les exemptés du service ou les retenus pour le contingent ? Les exemptés. Ils portent leur numéro « gagnant » sur leur casquette ou chapeau. Les autres n'ont pas le cœur à se faire photographier. Ils sont généralement catastrophés devant une obligation de service qui les tiendra hors de chez eux 20 à 28 mois, voire 3 ans selon les cas, à partir de 1902. Avant 1902, c'était encore plus long. La photo a été transmise au CERCHA par une famille originaire de Gentinnes, résidant actuellement à Gembloux.